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A Carouge

Par Bernard Dethurens

 

Carouge, petite ville ou gros village? Le Carouge de notre enfance, dans les années 40, était un gros village et la rue de la Filature une petite rue populaire où les gens se connaissaient bien.


La vie sociale à travers l’école, les paroisses, les sociétés, était intense. Les soirées étaient réservées à toutes sortes d’activités remplacées depuis par la télévision. La rue de la Filature prenait son départ à la rue Jacques Dalphin, glissait en pente douce vers la rue Saint Victor avec son tram 12, puis traversait la rue Saint Joseph pour arriver à la rue Vautier.


Le Clos de la Filature, actuelle avenue Cardinal Mermillod était son prolongement et desservait une zone industrielle entre l’Arve et la rue de Veyrier.


Nous habitions un immeuble récent de trois étages qui contrastait avec les immeubles avoisinants de deux étages dans le style carougeois traditionnel. En face, la fabrique de cirages Mermod, à côté le marchand de charbon Trémège avec ses attelages de chevaux blancs, le Poids Public, café célèbre, qui, à l’époque, était quotidiennement utilisé pour peser toutes sortes de chargements. La Coop se trouvait en face du café, angle Filature et Saint Joseph.


Tout en haut de la rue, le serrurier Vincent faisait trembler les vitres du voisinage de ses coups de marteau. Sa forge flamboyait du matin au soir. De sa haute stature et de sa voix de stentor, Monsieur Vincent effrayait tous les gamins du coin. Et des gamins, il y en avait: “d’authentiques” carougeois, de nombreux fribourgeois et surtout des italiens qui apportaient à cette rue un petit air du Sud.


Le spectacle de la rue était permanent. Les ouvrières, les ouvriers se rendaient à leur travail au Clos de la Fonderie, à pied ou à vélo, avec leur gamelle du repas de midi. Les enfants jouaient au foot, aux billes, à la marelle, à “il-est”, le chat-perché carougeois. La circulation était inexistante. Quelques camions, des attelages venaient troubler la vie de la rue. Puis, peu à peu, les plus riches ont pu s’acheter une voiture. Les Vélosolex ont fait leur apparition.


En hiver, les souvenirs marquants sont l’abondance de la neige, les parties de luge et le passage du triangle qui nous permettait de patiner sur la neige dure. Quelques ivrognes apportaient leur contribution au folklore local ainsi que le rémouleur attendu de tous, le laitier qui livrait lait et beurre à l’étage, les musiciens ambulants à qui les enfants jetaient quelques sous emballés dans un morceau de papier.

En septembre, la Vogue de Carouge s’installait à la Place du Marché et à la Place du Temple. Depuis nos fenêtres, nous voyions les balançoires au-dessus des toits des maisons voisines au rythme des musiques mécaniques cent fois répétées jusqu’à une heure tardive.


Oui, la vie à la rue de la Filature nous semblait agréable alors qu’elle était bien difficile pour nos parents mais partagées par toute une communauté : Carouge.

 




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