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Le Quai Charles Page

Par Janine Payot

 

Dans les années 1950, nous habitions, tout jeunes mariés, dans un immeuble du quai Charles Page, situé entre le pont Neuf et le pont des Acacias. A deux pas de chez nous se trouvaient les minoteries de Plainpalais.


Souvent, très tôt le matin, des wagons, posés sur de longues remorques, venaient livrer les céréales au moulin. J’allais parfois acheter des fleurs chez l’horticulteur établi au pied de ce bâtiment jaune et mystérieux de l’extérieur.


Au début (1953), le quartier était tranquille et agréable. Nous longions souvent les quais ombragés de platanes. En revenant par le quai d’en face, celui du Cheval Blanc, nous passions d’un pont à l’autre.


Nous nous arrêtions de temps à autre pour regarder les pêcheurs à la ligne portant des bottes jusqu’au haut des cuisses. Ils s’aventuraient loin dans l’eau glacée de la rivière. Ils recherchaient des ombres, un poisson de la famille des saumons qui a, je crois, disparu de ce cours d’eau depuis quelques années.


Une intense végétation s’épanouissaient le long des berges restées naturelles, surtout de vénérables saules dont les graines légères s’envolaient et pénétraient dans les appartements. C’était une jolie promenade en toutes saisons. Après la fonte des neiges ou de fortes pluies, l’Arve se montrait très sombres et tumultueuse. Puis une chute a été aménagée près du pont Neuf. C’était à la fois une attraction et une nuisance, car la nuit elle nous a empêché de dormir jusqu’à ce que nous soyons habitués à son vacarme.


Au mois de mars, le quai changeait d’aspect et devenait un extraordinaire parking à l’intention des visiteurs du Salon de l’Auto qui avait lieu au Palais des Expositions, encore installé à Plainpalais.


Du haut de notre 3 étage, nous regardions le ballet des voitures étincelantes, venant parfois de loin. Des planches étaient disposées contre le trottoir de sorte que les véhicules se parquaient en épis. Des gendarmes en képi surveillaient leur bon alignement. Nous étions fascinés. Peu de gens, autour de nous, possédaient une auto.

Dans notre immeuble, seul le chauffeur -l’homme qui s’occupait de notre chauffage -en possédait une. D’ailleurs, nous ne pensions pas, nous n’osions imaginer, en acheter une un jour. Nous n’allions pas visiter le Salon, il se trouvait-là, sous nos yeux. Les « belles américaines » commençaient à arriver, des gens élégants en sortaient. Nous passions des heures à les observer.


Devant le Palais des expositions, un photographe prenait les passants en photo. (En noir et blanc naturellement) Nous en avons une sur laquelle nous avons l’air de deux gamins dans la foule des visiteurs. On peut voir qu’il pleuvait fort et faisait encore froid.


Lorsque nous avons déménagé, en 1958, la circulation était devenue bruyante. Il y avait surtout des motards qui pétaradaient à l’aube, réveillant ainsi tous les habitants.

Dans ces années 50-60, ma mère tenait un commerce de laine, lingerie, mercerie, justement près du Pont-Neuf, au début de la rue de Carouge.


Je me souviens que, en même temps que la bonne odeur du pain cuit, des rumeurs parfois se répandaient tôt le matin depuis la boulangerie, passaient à l’épicerie, s’emplissaient chez le coiffeur, traversaient la chaussée, se chuchotaient chez la modiste entre deux essayages de chapeaux, se transmettaient chez le fourreur, la porte d’à côté (...) Elles s’entendaient dans le tintamarre du garage, étaient l’objet des conversations dans les deux bistrots se faisant face et Noticeissaient lorsque midi carillonnait dans la boutique de maman. Ainsi, un certain matin, le bouche à oreilles nous apprit que les gendarmes sortaient un noyé de l’eau. Un pêcheur l’avait vu flotter dans les remous de l’Arve. L’émotion avait alors gagné toute la rue.


Je ne parle que de cette rive, car la rivière établissait une frontière avec les gens de l’autre côté du pont. D’ailleurs, là-bas, c’était Carouge, et non pas Genève! Tout ceci pour vous dire que ce quartier de Plainpalais ressemblait étrangement à un village. La circulation se faisait dans les deux sens sur le quai, comme dans cette rue où le tram 12 passait bruyamment.


Dans certains immeubles anciens, les salles de bains n’existaient pas et il fallait un chauffe-eau pour avoir de l’eau chaude. Le chauffage était au charbon.


Il semble que je vous parle du temps de Mathusalem, pourtant je ne suis pas si âgée!


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