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En Dehors Du Groupe

Par Robert Carmona

 

Nous avions des relations avec des amis non-juifs, cela était fréquent. On ne vivait pas en ségrégation. Nous allions dans les mêmes écoles, soit l’école primaire, soit au collège. Ils savaient que j’étais juif et ça se passait très fraternellement. On s’assimilait assez vite, surtout ceux qui étaient nés à Genève; on imitait en somme les autres camarades. Je ne peux pas dire qu’il y avait de grandes différences.


En général, la population de Genève n’était pas du tout antisémite. Il y a eu un mouvement antisémite, marginal, c’était une poignée d’antisémites, un petit groupe mais qui faisait beaucoup de bruit. C’étaient les années 1929-30 jusqu’à la deuxième guerre.


Il y avait beaucoup de grands commerçants au centre de la ville qui étaient juifs, qui avaient les plus grands magasins. En 1932, un peu avant l’avènement de l’hitlérisme en Allemagne, ce petit groupe, dirigé par Georges Oltramare et encouragé par les Allemands, fit une manifestation dans une salle à la rue de Carouge. Ils disaient que les Juifs c’était le malheur de Genève. Et cela a excité un peu la jalousie d’autres commerçants. C’était lié en même temps au racisme et à la xénophobie.


Cette manifestation n’était pas seulement contre les Juifs, mais aussi contre les partis de gauche, comme a fait Hitler en Allemagne. Ce petit groupe avait un bulletin, un petit journal qui paraissait toutes les semaines, ” Le Pilori “, avec des slogans antisémites. Alors, cette manifestation a provoqué une contre-manifestation. Les socialistes sont descendus dans la rue pour manifester devant la salle de la rue de Carouge. Il y avait une telle tension, que le gouvernement avait fait venir des recrues d’une autre région de Suisse.


Lorsque la contre-manifestation s’est dispersée, ils ont tiré sur la foule, on a cru que c’était la révolution à Genève. Il y a eu 13 morts et plus de 60 blessés. Alors, après ce massacre, l’opinion publique s’est tellement révoltée que c’est les socialistes qui sont venus au pouvoir et qui ont gouverné pendant quatre ans. (….)


Les Ashkénazes et les Séfarades s’ignoraient un petit peu. Les contacts entre eux se sont multipliés lors de la fondation de la Jeunesse Israélite de Genève (JIG), dans les années 1920-25, dont les membres étaient des jeunes de 17 à 20 ans et plus.


On y organisait des spectacles et des soirées, et les activités récréatives se sont beaucoup développées. Les jeunes, qui étaient plus mélangés que les adultes, se retrouvaient dans une société unique qui réunissait toutes les tendances : il y avait les Séfarades, les Ashkénazes d’origine alsacienne, ceux qui venaient d’Allemagne ou de Pologne et puis il y avait même les strictement orthodoxes.


Les enfants de toutes les familles juives entraient dans ce club de jeunesse qui se trouvait à la place de la Fusterie. Les adultes avaient un contact au niveau professionnel car il y avait des commerçants séfarades et des commerçants ashkénazes qui faisaient des échanges.


Une filiale de la JIG a été le “Club Sportif Hakoah “, masculin, où l’on pratiquait surtout le basket-ball. Il reste une dizaine de vétérans de 70 à 85 ans qui se retrouvent chaque semaine à la place du Molard.


Les Ashkénazes parlaient le yiddisch ; la différence de langue était bien marquée. Ils avaient leurs usages culinaires qui étaient aussi différents. Dans leur rituel religieux, il y avait certaines parties du culte qui étaient différentes.


Par exemple, chez nous, les offices se célébraient moitié en hébreu, moitié en espagnol, on mélangeait les deux langues. C’était un peu comme si on était en Turquie. Quand on faisait les enchères pour la Torah, ce n’était pas en francs. Ils disaient : ” mil dam por Sepher Rishon “. ” Dam ” c’est un terme en espagnol; ” por ” ça veut dire pour en espagnol, et ” Sepher Rishon ” c’est l’hébreu. Les Ashkénazes mélangeaient des termes en hébreu et des termes en allemand. Dans les années 60, j’étais secrétaire du Groupe Fraternel Séfarade. Nous préparions le terrain pour la fusion de la communauté ashkénaze et la séfarade, que promouvait Mr Victor Fissé, président du Groupe. Les Séfarades n’étaient pas nombreux. On était 60 familles, cela représentait au maximum 300 personnes, tandis que les Ashkénazes étaient au moins 600 personnes. Il y avait à l’époque 1.000 Juifs à Genève.


– De la publication « Acuerdos » par Mme Ida Dery

 

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