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Carouge

Par Michelle Dethuren

 

Je suis née à la rue de la Filature en 1943 et j’y ai vécu jusqu’en 1965. Je garde de mon enfance dans ce quartier un souvenir où jeux et rue ne faisaient qu’un. « Est-ce que je peux aller jouer? » signifiait implicitement « dans la rue » où tous les enfants se retrouvaient.


Beaucoup de nos jeux, marelle, saut à la corde, se jouaient sur le trottoir, mais d’autres jeux, comme les jeux de ballon se jouaient dans la rue et je n’ai aucun souvenir de peur des voitures ou de recommandations qui nous auraient été faites à leur sujet.


Je me souviens d’un hiver où il avait suffisamment neigé pour que nous puissions glisser en luge dans la partie supérieure de la rue (située entre la rue Jacques Dalphin et la rue Saint Victor) sur une pente à peine digne de ce nom. Je me revois aussi glisser dans la rue sur mes patins à glace sur une neige verglacée.


Il m’est difficile de dater précisément ces souvenirs. Ils sont probablement antérieurs à 1953. C’était une période où notre père qui était livreur garait sa camionnette devant l’entrée de notre immeuble quand il rentrait à la maison pour manger à midi. Il n’y avait aucun problème de stationnement car très peu de gens possédaient une voiture.


La rue de la Filature était habitée par des gens modestes. Jusqu’à mes 20 ans en 1963 j’ai entendu les mêmes plaisanteries quand je disais que j’habitais à Carouge. Une des plaisanteries classiques était de nous demander si nous avions un passeport car il y avait tellement d’ouvriers étrangers saisonniers à Carouge qu’on considérait que l’on quittait la Suisse en traversant I’Arve.


Ces saisonniers me fascinaient. Ne disait on pas qu’ils habitaient à 8 ou 10 dans des appartements vétustes et sans aucun confort ? Je tentais, depuis la fenêtre de notre appartement de distinguer ce qui se passait dans l’immeuble d’en face qui en abritait beaucoup.


Au bas de la rue de la Filature, il y avait un commerce de charbon appartenant à la famille Trémège. Les livraisons de charbon se faisaient avec une charrette tirée par un cheval. Est-ce le noir du charbon ? Est-ce parce que le bas de la rue de la Filature nous semblait plus sombre, est-ce autre chose ? Je ne sais pas mais je me souviens du sentiment de peur que nous inspirait le bas (c’est-à-dire la partie qui est contre la rue Vautier) de la rue. Nous n’allions jamais jouer « si bas » et les enfants qui y habitaient venaient jouer avec nous, une cinquantaine de mètres plus haut à la hauteur de l’usine de cirages Mermod dont l’enseigne en grosses majuscules dorées appliquées sur la façade servait de cible à nos jeux de balle.


Un peu plus haut, à l’angle de la rue Saint Joseph, il y avait, il y a encore, le café du Poids Public. Poids public fonctionnel puisque venaient s’y faire peser toutes sortes de véhicules mais aussi chevaux et taureaux lors des marchés annuels qui avaient lieu à la place du Marché.


II y avait, le long de la façade de la maison du Poids Public des anneaux de fer auxquels on attachait les bêtes.


Le Poids Public était un café très animé et très souvent, surtout les nuits de samedi à dimanche, des cris réveillaient nos parents qui s’émerveillaient que leurs enfants aient pu ne pas se réveiller malgré le bruit terrible dont ils se plaignaient.

A l’angle opposé, là où il y a maint un solarium, il y avait une poissonnerie. Directement en face, il y avait un magasin de meubles d’occasion. Non, pas un antiquaire. Mais un magasin qui vendait des meubles très simples et bon marché. Un peu plus haut, là où il y a maintenant une arcade dont les activités sont en relation avec l’immobilier, il y avait une épicerie.


Mais elle était peut-être à côté, là où il y a maintenant une arcade où l’on s’occupe de développement personnel. A l’angle de la rue Saint Victor, en face du Café des Négociants qui existait déjà, une autre épicerie et là où il y a maintenant un magasin de vêtements pour enfants il y avait une boucherie. Hélas, il m’est difficile de me souvenir de toutes les arcades mais il est vrai que beaucoup d’arcades ont été créées à Carouge là où il y avait des habitations au rez de chaussée et que, bien sûr, il n’y avait pas de cabinet de physiothérapie, pas du bureau d’assurances, pas de salon de toilettage pour chiens, pas d’agence de graphiste, pas de magasins vendant des objets orientaux.


Toutes les arcades étaient en relation avec les activités et les besoins quotidiens.

 


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